la ligue deu parle à la jeunesse de France

Publié le par Joe l'indien

Bonjour messieurs,

 

Je m'appelle Philippe Cauliez et suis professeur d'Histoire-Géographie en lycée professionnel. J'ai voulu, le baccalauréat approchant, « désengorger » l'esprit de mes élèves en leur faisant découvrir une littérature qui ne soit pas « pragmatique ». Enthousiasmés par les ouvrages dits « de genre », les jeunes ont souhaité vous poser des questions. Je vous prie par avance d'excuser le caractère « innocent » de certains questionnements, que vous accueillerez, je n'en doute pas, d'un sourire indulgent et professionnel.

 

1) Laetitia : - Qu'est-ce qui compte le plus, les personnages ou les quêtes ?

 

La question est complexe et mérite donc qu'on n'y passe pas trop de temps. Sans personnage, ni peu ni prou de quête (note au passage que le mot quête se marie bien aux archaïsmes langagiers ; si tu ne sais pas ce qu'est un archaïsme langagier, demande à ton professeur), mais sans quête que seraient les personnages ? Ils végéteraient dans leur médiocrité, à regarder la pluie couler sur les carreaux où à dater et signer des TIP (titre interbancaire de paiement ; demande à ton professeur). Bref, des gros nuls. Si tu écris un livre (ce à quoi nous t'encourageons, étant donné que tu es une fille), tente de marier quête et personnage en égales proportion, et n'oublie pas de placer une scène de repas dans une auberge.

 

2) Michael : - Est-ce que l'écrivain se sent-il  proche de ses personnages ?

 

Bien sûr. Pour un écrivain, les personnages auxquels il a donné vie sont comme ses enfants, la chair de sa chair, le produit humide et fripé de sa psyché. Surtout quand ils ont de longs cheveux soyeux et de généreuses poitrines. Certains écrivains ont été accusés d'abuser de leurs personnages, de les toucher avec un peu trop d'insistance, voire de les torturer ou de les faire mourir. Les membres de la Ligue s'élèvent contre de telles pratiques, sauf si elles concernent des personnages méchants.

 

3) Gwendoline : - J'ai lu un livre, mais est-ce qu'il y aura une suite ?

 

Si c'est un livre écrit par un membre de la Ligue Deu, soit rassurée, il y aura non seulement une suite mais également une suite à la suite ! Car tout va par trois dans la bonne et saine littérature d'imaginaire (n'hésite pas à compter sur tes doigts si tu as du mal à t'y retrouver). Si, par contre, il s'agissait de l'un de ces tristes fascicules que tes professeurs t'obligent à lire, un Flaubert ou un Camus ou que sais-je encore, soit également rassurée. Après avoir écrit le mot fin, ces petits fonctionnaires de l'écriture, à l'imagination aussi desséchée qu'un pruneau, rangent leur plume et n'y reviennent pas (en général, dans leurs histoires, tout le monde est mort, et il n'y a aucun puissant sorcier pour ressusciter les héros, c'est risible). Les membres de la Ligue Deu prisent également les adaptations cinématographiques et les reprises de leurs œuvres au format poche afin que leur parole soit accessible au plus grand nombre.

 

4) Mounir : - Combien touche le dessinateur ?

 

Dans l'imaginaire, ils touchent gros car leurs œuvres colorées et épiques apportent joie et évasion. Dans les autres genres, ils sont naturellement mal payés. Leurs gribouillages abstraits, prétentieux et ternes ne valent franchement pas plus. Certaines structures éditoriales de l'ImagInaIre (elles se reconnaîtront) prônent le non-versement d'avances, remplacé par d'éventuels droits d'auteur (dans sept ans au mieux). C'est une bonne chose : nous encourageons les jeunes auteurs médiocres (ils se reconnaîtront) à ne pas demander à être payés.

 

5) Elodie : - Est-ce que ce qui est écrit ça peut se passer en vrai ?

 

Si tu y crois très fort, Elodie, tout peut arriver, même la magie et les dauphins qui parlent. A ceux qui ont gardé leur âme d'enfant, rien d'impossible. Sur le plan sexuel, les choses sont parfois plus compliquées, sauf si tu es une fille, ce qui semble le cas.

 

6) Nora : - Pourquoi les livres ils sont pas tous en films ?

 

Parce que Luc Besson n'est qu'un homme. Il doit dormir de temps en temps. Mais t'es-tu demandé pourquoi tous les films ils sont pas en livres ? Ah.

 

7) Bastien : - Je fais du bénévolat auprès de personnages âgées. Et j'aimerais leur faire de la lecture mais les vieux n'ont pas de livres dans leur maison de retraite. Pourquoi ?

 

C'est bien triste. Et crois-moi, la Ligue Deu compte bien changer cette déplorable situation en lançant derechef une grande collecte à destination des maisons de retraite. Bientôt, tu pourras rendre visite à ces vénérables vieillards qui méritent tout notre respect, les bras chargés des meilleurs ouvrages d'imaginaire. Tu verras leurs yeux s'illuminer, et la bave qui leur coule sur le menton prendra des reflets d'or. La Ligue Deu aiment les vieux. Elle soutient l'arthrose, les cancers interminables, les pertes de mémoire à court et long terme et le loto du samedi soir, avant Questions pour un champions.

 

 

8) Deborah : - Est-ce que vos livres de monsieur Noirez on peut les trouver à Simply Market ?

 

Bien sûr. Il est facile de mépriser ces lieux populaires et bigarrés que sont les supermarchés discount. Mais à la Ligue Deu nous nous chauffons d'un autre bois. L'Imaginaire (de qualité) doit être à la portée de tous. Nous préférons voir nos livres courir sur le tapis roulant des caisses, telles des feuilles emportées par le courant du ruisseau, plutôt que prendre la poussière dans ces officines élitistes que sont les librairies.

 

9) Erik : - Ça fait vendre de prendre un nom ou on peut juste garder le sien ?

 

Il est précieux selon nous d'avoir un nom dont les sonorités évoquent les cavalcades épiques et l'envolée de bêtes fabuleuses sur fond de ciel mordoré. Prononce à haute voix nos noms : Colin, Noirez... N'es-tu pas immédiatement transporté ailleurs ? Certains, au sein de la Ligue, ont préféré garder leur nom vernaculaire (comme l'auteur d'origine serbo-polonaise Jaworski). Seul l'avenir nous dira s'ils ont eu raison ou tort. En tout cas, Erik est un excellent prénom pour faire carrière dans l'imaginaire.

 

10) Samira : - Monsieur Colin je vous avais vu à Montreuil mais vous avez changé.

 

C'est vrai. J'ai mûri, j'ai grandi, j'ai appris quelques leçons sur la vie. Mes fonctions au sein de la Ligue Deu (un projet sur lequel nous nous penchons depuis maintenant trois ans) ont eu raison de ma juvénile pétulance - remplacée par une assurance virile et des tempes grisonnantes. L'amour compte presque autant que la fantasy, sache-le, ma petite Samira.
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J
Si moi aussi j'étais membre de la Ligue Deu, serais-je aussi drôle que ça ?
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